Au
moment où se déroule la visite historique de Barack Obama en Israël, il
convient de jeter un regard lucide sur les forces qui poussent, non
seulement l’Etat hébreu mais l’ensemble du système occidental, à vouloir
déclencher une guerre contre l’Iran. François Belliot nous propose son
compte rendu de lecture de l’essai Iran, la destruction nécessaire
où l’analyste international Jean-Michel Vernochet passe en revue les
griefs-prétextes et surtout les ambitions de l’Occident, à la lumière
des événements qui ont marqué l’histoire récente.
Depuis 1979 et la Révolution islamique, l’Iran se
trouve dans une situation géopolitique inconfortable. Mis au ban des
nations par les Occidentaux, saigné par une guerre de 8 ans avec l’Irak
soutenu de l’extérieur, mis dans l’Axe du mal par les néoconservateurs
sous George W. Bush, asphyxié par des sanctions économiques et des
embargos, infiltré et déstabilisé par des services de renseignements
étrangers, allié à la Syrie et au Hezbollah, accusé de vouloir « rayer Israël de la carte »,
depuis plus d’un demi siècle l’Iran lutte pour préserver son
indépendance dans des conditions périlleuses. Alors que l’Iran, aux yeux
de certains, semble avoir passé les années les plus délicates,
Jean-Michel Vernochet, dans cet essai de prospective d’une centaine de
pages, expose la thèse que la destruction de l’Iran, à court ou moyen
terme, est inéluctable. C’est le sens du titre de l’ouvrage : Iran, la destruction nécessaire.
L’auteur avance et développe des faits et des arguments à l’appui de
cette prédiction, qu’il conclut à chaque fois d’une courte phrase en
forme de leitmotiv : «
C’est pourquoi l’Iran sera détruit ».
Les fausses raisons de l’animosité du système envers l’Iran
Les raisons de la destruction de l’Iran, selon l’auteur, ne sont pas
celles avancées dans les grands médias commerciaux. Ce n’est pas le fait
que ce serait un Etat théocratique, anachronique à l’ère de la
démocratie triomphante : «
Après tout l’Amérique n’est-elle pas
elle-même une sorte de théocratie parlementaire dont la fière devise “In
God we trust” figure au frontispice de son fétiche, le dieu dollar ?
L’Etat d’Israël également n’est-il pas pareillement une théocratie
déguisée puisque la Torah, la bible hébraïque, lui tient lieu de
Constitution et représente l’une des sources du code civil israélien ? » (p 14). Ce n’est pas parce que la femme y est maltraitée : «
Dans
cette République islamique si souvent décriée, les jeunes femmes
apparaissent comme tout aussi émancipées et modernes que leurs consœurs
turques des grandes métropoles peuvent l’être ». Ce n’est pas pour sa pratique de la peine de mort : cet «
acte qualifié de barbare » est en effet «
toujours en vigueur dans une majorité d’Etats [qui font partie des Etats-Unis] ». Ce n’est pas parce que l’Iran aurait décidé de «
rayer Israël de la carte » :
jamais un tel projet n’a été formulé, c’est une déformation d’un propos
du président Ahmadinejad, qui a été martelée par la suite par les
grands médias occidentaux. Ce n’est pas parce qu’il envisagerait de se
doter de l’arme atomique : Israël en est illégalement équipé sans que
quiconque s’en émeuve, et l’Iran serait instantanément détruit si lui
venait l’idée funeste d’y recourir.
Les vrais arguments, pour Jean-Michel Vernochet, sont les suivants :
- L’Iran est un État-nation indépendant : ce qui est visé, « c’est
l’Etat-nation, modèle et concept auquel la démocratie universelle,
participative et décentralisée, a déclaré une lutte sans merci depuis
1945. La Nation est en effet, depuis la Seconde Guerre mondiale, accusée
de tous les maux, à commencer par le premier d’entre eux : la guerre. » (p 31).
-
Doué d’un État plus indépendant que d’autres, l’Iran n’a pas encore été
pénétré par les courants du néolibéralisme ni par l’ingérence des
multinationales : « l’idée même de “Nation” est contradictoire avec celle de “libre-échange” pour laquelle portes et fenêtres doivent disparaître. »
(p 36) Or le libre-échange et la prééminence du capitalisme financier
sur les cadres étatiques est l’idée dominante depuis au moins 40 ans :
« Les années 1970 marquent un tournant dans l’histoire du
capitalisme, avec sa transmutation en capitalisme financier qui se
débarrasse progressivement – mais rapidement, et c’est pourquoi il faut
parler de mutation –, au cours des 4 décennies suivantes, de toute
contrainte légale. Ceci en application des thèses de
l’anarchocapitalisme développées par l’école de Chicago, elle-même
fondée par le Nobel Milton Friedmann. » (p 43).
- L’Iran
possède de très importantes ressources de gaz, et le contrôle de cette
ressource constituera un enjeu majeur au XXIème siècle : après
l’épuisement du pétrole, « ce sont les ressources gazières qui
prendront le relais et qui deviendront l’enjeu majeur des luttes et des
guerres pour le contrôle de son extraction, de son exploitation, de son
transport, de sa transformation, et de sa commercialisation. L’Iran,
troisième détenteur des réserves prouvées, et la Méditerranée orientale,
vont donc devenir, à ce titre, des pôles de convoitise et
d’affrontement entre des puissances et des blocs géopolitiques aux
intérêts divergents et rivaux » (p 54).
- Même si cela peut
apparaître impossible car trop inhumain, les États-Unis (qui sont la
puissance dominante d’aujourd’hui et pour qui la destruction et le
morcellement des États-nations sont l’une des garanties de la
continuation de leur hégémonie au XXIème siècle), l’histoire montre
qu’ils sont en permanence mus par cette vision. L’auteur rappelle que si
au cours de ses 236 années d’existence, les Etats-Unis prétendent avoir
partout défendu la démocratie, « ce fut au prix de quelques 160 guerres extérieures avant 1940, pour la plupart d’ingérence, d’annexion, ou d’expansion. »
Pour atteindre leurs objectifs, les États-Unis sont capables de
recourir aux moyens les plus discutables, et à sacrifier des millions
d’innocents, comme en Irak : « Notons que l’option militaire et les
“human casualties” qui en résultent (1,3 million de victimes irakiennes
(…) ne sont que rarement l’objet d’états d’âme. Pour les promoteurs de
ce type de guerre, la pédagogie de la “Liberté” n’a pas de prix.
Madeleine Albright, alors secrétaire d’Etat, est créditée de ce mot
historique relatif aux enfants d’Irak victimes de l’embargo de
1990/2003 : “C’est le prix à payer” » (p. 58).
Pour toutes ces raisons, selon l’auteur, l’Iran sera nécessairement détruit.
Le principe de l’inertie systémique
L’originalité de l’essai de Jean-Michel Vernochet est de mettre en avant et de discuter le concept d’«
inertie systémique », et celui de «
logique inertielle » qui en découle. «
Il s’agit là d’un concept majeur et sur lequel nous devons insister »
(p 41). Ce concept est déclinable dans une multitude de domaines. Très
généralement, on peut le définir ainsi : les différents systèmes dans
lesquelles sont emmaillés les individus (croyance religieuse ou
partisane, appartenance nationale, système de rémunération, code de loi,
etc.) sont surdéterminants par rapport aux décisions individuelles. «
Nous
qualifierons cette logique systémique de logique “inertielle” en ce
qu’aucune décision humaine ne peut en abolir les contraintes dynamique
et les conséquences à terme. » (p 74).
Au vu de l’importance du concept, et de la place centrale qu’il tient
dans sa grille d’analyse, Jean-Michel Vernochet en plusieurs endroits
s’efforce d’en préciser la définition. Ainsi à la page 42 :
« Un fait, un choix engageant un processus qui se déploie de
lui-même en vertu de sa dynamique initiale et progresse ensuite vers
l’inertie : principe des voyages interplanétaires. ( …) Il s’agit de
déterminisme, mais limité dans le temps et dans l’espace. Les
gigantesques investissements de longue durée dans la recherche et
l’exploitation des énergies fossiles dans les milieux les plus
difficiles (sables et schistes bitumeux, forages en eaux profondes), le
formatage écrasant du fonctionnement des sociétés industrialisés sur ce
type d’énergie et par conséquent leur dépendance absolue à l’égard de
ces ressources énergétiques engendre une prodigieuse inertie, celle d’un
système prisonnier de choix énergétiques avec lesquels il est
impossible de rompre à court terme. Les politiques extérieures des Etats
sont alors conditionnées en amont et en aval par cette nécessité qui
tourne aujourd’hui à la malédiction. Ce n’est pas enfoncer une porte
ouverte que de souligner cela, même si le paramètre énergétique n’est
pas le seul à entrer en ligne de comptes pour appréhender l’évolution du
système-monde. »
Le facteur cité spontanément dans la définition, qu’il nomme «
la roue géoénergétique »,
est celui que l’auteur développe avec le plus de détails : le système
réclame de l’énergie, où qu’elle se trouve, au fin fond des mers où dans
un État-nation jaloux de son indépendance. L’Iran doit être détruit
parce qu’il détient d’énormes réserves de gaz. Ses ressources
stratégiques sont un enjeu pour les grandes puissances et pour les «
majors » depuis un siècle. Elles le sont encore plus aujourd’hui du fait de leur raréfaction partout dans le monde.
Une citation précédente en donnait une idée : la deuxième roue soutenant la logique inertielle du système actuel est «
la roue géoéconomique ». Cette roue est la «
montée
en puissance du marché, proportionnelle au dépérissement des pouvoirs
étatiques, autrement dit à l’effacement de l’État qui, en Europe, se
saborde littéralement sous nos yeux au profit de superstructures
régionales telle que la Commission de Bruxelles, véritable gouvernement
informel non élu mais aux prérogatives de nature de plus en plus
autoritaires. » (p 65).
La généralisation du libre échange sans contraintes, ou son
imposition, la vente des actifs publics au secteur privé (le plus
souvent à des prix bradés), la réduction des droits des citoyens, telles
sont les mesures que le marché s’efforce d’imposer, presque toujours
avec succès aux acteurs étatiques, contribuant à l’affaiblissement
progressif de leur pouvoir. Appliquées souvent dans le cadre de «
thérapies de choc », ces réformes réduisant le champ de la
Res Publica
ont besoin pour être appliquées de la mise en place de lois
sécuritaires toujours plus contraignantes et souvent de l’action de la
police et de l’armée car la population n’est jamais consultée sur le
bien-fondé de la mise en œuvre de ces soins palliatifs qui achèvent le
malade plutôt qu’ils ne le guérissent. Au terme du processus, on en
arrive à des situations où la seule chose qui demeure encore de l’État,
ce sont «
les politiques ultrasécuritaires nécessaires à garantir
les libertés globales des acteurs oligopolistiques de l’hypercapitalisme
financier. » Rappelons-nous que la lame de fond néolibérale est
précisément et symboliquement née le 11 septembre 1973 avec le
renversement du président chilien Salvador Allende et l’installation à
la tête du Chili d’un dictateur sans états d’âme, le général Augusto
Pinochet, entouré d’une équipe d’économistes friedmanniens tous issus
de l’école de Chicago.
Le recul du poids de l’État dans les décisions collectives est une
constante depuis 40 ans. Rien pour l’instant ne semble en mesure
d’enrayer cette tendance lourde, laquelle devrait donc conserver, au
moins sur plusieurs décennies, son infreinable inertie. L’Iran est l’un
des derniers Etats à résister résolument à cette pénétration
destructrice par les lois dissolvantes du marché.
Le troisième facteur pointé par l’auteur est le «
facteur hégémonique ».
Repartons de l’exemple de Pinochet : l’exploitation et la captation des
matières premières des Etats-nations, de même que la pénétration libre
et sans contraintes des acteurs privés dans l’économie de ces mêmes
Etats, ne peut se réaliser sans le recours à la force armée : «
la
troisième roue est donc celle des moyens diplomatiques et militaires –
les deux faces d’une même réalité – de la prise de contrôle des sources
énergétiques et des marchés, ce qui suppose pour la puissance
hégémonique une expansion constante de sa sphère d’influence afin d’y
consolider la “défense de ses intérêts” ».
Ainsi de multiples moyens ont été mis en œuvre pour faire plier l’État iranien ces dernières années :
- blocus mis en place à partir de 1979 avec gel des avoirs financiers iraniens,
- embargo économique décrété par les Etats-Unis en 1996,
- catalogage dans l’Axe du Mal,
- embargo total décrété par l’Union européenne,
- assassinats ciblés de spécialistes de l’atome en Iran,
- attaques électroniques virales visant à miner la sûreté de l’Etat.
La dernière mesure de déstabilisation est évidemment la guerre, et
l’exemple irakien voisin montre ce qui s’ajouterait à ces mesures en cas
d’invasion :
- instrumentalisation des divisions confessionnelles
pour semer les germes de la guerre civile, campagnes d’attentats sous
fausse bannière,
- libéralisation totale du marché
- et irruption massive et incontrôlée des grands groupes privés,
-
bref, la destruction complète de l’État et la partition probable du
pays en entités plus petites et de ce fait plus aisément manipulables.
Le statut particulier des Etats-Unis d’Amérique
Le facteur hégémonique est d’autant plus facilement lisible à notre
époque qu’une entité domine de façon outrageuse le monde sur le plan
militaire, diplomatique, et économique. En l’occurrence, il s’agit des
États-Unis d’Amérique, et pour être plus précis d’un ensemble de pays
dominé par les États-Unis entourés de vassaux qui suivent ses décisions à
la baguette, ainsi l’Union européenne.
Ce statut particulier, et la mission hégémonique qu’elle rend
possible, est ouvertement affirmé et défendu par des hommes politiques
états-uniens de premier plan. Vernochet cite ainsi un article de Robert
Kagan de 1996 paru dans
Foreign Affairs :
« on y lisait en toute simplicité que l’objectif de Washington
devait être la préservation de « l’hégémonie américaine afin de remplir
nos responsabilités vis-à-vis de la planète. »
Nous rappelons à ce propos que ce projet est exprimé dans le détail noir sur blanc dans le rapport du PNAC intitulé
Reconstruire les défenses de l’Amérique dès 1999 et par les propos de Mitt Romney pendant la dernière campagne pour l’élection présidentielle : «
Dieu a choisi les Etats-Unis pour qu’ils dirigent le monde. »
Les deux précédentes «
roues » évoquées s’emboîtent
parfaitement avec et dans l’ambition hégémonique des États-Unis. Une
position dominante dans le contrôle des dernières ressources d’énergie
fossile constitue un enjeu géostratégique majeur pour la domination du
monde au XXIème siècle. Dans le cas ou dans l’hypothèse d’une Troisième
Guerre mondiale, il sera nécessairement décisif.
Ce facteur est surdéterminant dans le cas des États-Unis car la
stabilité de sa monnaie est liée au fait que tous les échanges d’énergie
fossile sont obligatoirement libellés en dollars :
« L’Amérique demeure (…), en dépit de la crise économique, une
superpuissance, entre autres parce que sa monnaie, le dollar occupe une
position monopolistique dans le commerce des énergies fossiles conférant
à l’édifice financier une certaine assise » (p 60)… « Partant de
là, la main mise sur toujours davantage de sources énergétiques assure à
l’Amérique monde de pérenniser le monopole du dollar comme monnaie
exclusive dans les échanges énergétiques » (p 73).
Preuve de l’importance que les États-Unis accordent à ce privilège :
« ceux qui ont eu la velléité ou l’audace de passer à un autre
instrument [monétaire] ont vite compris leur malheur : l’Irak et la
Libye ont été détruits – comme ce sera le cas de l’Iran si une
providence favorable n’interfère pas dans le processus en cours – pour
avoir voulu effectuer leurs transactions en euros ou en or. Un acte de
guerre presque aussi grave que le blocage du détroit d’Ormuz dont
l’éventualité a été maintes fois annoncé par Téhéran en cas d’attaque
occidentale » (idem).
Pour revenir brièvement sur le facteur de l’affaiblissement des
États-nations au profit des acteurs privés du marché, soulignons que
tout affaiblissement et/ou morcellement des entités étatiques au profit
des acteurs privés du marché est nécessairement dans l’intérêt
hégémonique des États-Unis. Rappelons que cette «
roue géoéconomique »
a vu le jour aux États-Unis dans les années 1970, avec l’école de
Chicago et les théories néolibérales de Milton Friedmann, et que les «
thérapies de choc » et autres «
plans d’ajustement structurel »
profitent largement aux transnationales états-uniennes (et à d’autres,
anglo-saxonnes, françaises et européennes notamment) qui obtiennent
ainsi de juteux marchés dans des conditions extrêmement favorables.
La conclusion (provisoire) de l’auteur n’est guère optimiste :
« Dans un environnement aussi prédictible, force est de constater
que l’Iran, situé sur la ligne de séparation des blocs, ne représente
guère plus qu’un château de sable face à une marée montante. D’une façon
ou d’une autre, que l’Iran vienne à résipiscence à la suite de
l’effondrement ou du renversement du régime théocratique parlementaire
national chiite ou par une estocade brutale portée par des forces
israélo-américaines, le résultat sera toujours le même : la
réintégration de l’Iran, de gré ou de force, dans l’Économie–Monde, dans
l’économie du monde (…), elle-même dominée, jusqu’à preuve du
contraire, par l’Amérique-Monde. » (p 79).
Ce n’est pas le lieu ici de discuter du caractère radical et très
inquiétant de la thèse de Jean-Michel Vernochet. Qu’on souhaite ou qu’on
ne souhaite pas la «
destruction » de l’Iran n’entre pas ici en
ligne de compte. On peut désirer la destruction de l’Iran pour des
raisons logiques (si l’on est un acteur influent du système) ou
illogiques (si l’on est un acteur mineur assujetti à et par sa
propagande). On peut à l’inverse juger cette destruction injuste et de
funeste augure.
J’attirerai pour finir l’attention sur deux points : l’intérêt de la
lecture du livre de Vernochet ne vaut pas seulement pour les analyses
généralistes qui y sont développées, mais pour les nombreux ouvrages de
fond sur lesquels l’auteur s’appuie pour asseoir ses arguments et les
nombreuses anecdotes historiques très précises dont l’essai est
agrémenté. C’est un livre qui développe une pensée, et dans lequel on
apprend des choses.
Autre point intéressant : en attirant l’attention sur le principe d’«
inertie systémique »,
l’auteur met en garde contre la tentation trop facile chez certains à
voir des complots et des conspirations partout. Ces choses-là existent
(ainsi des attentats du 11 septembre 2001 et de la construction
européenne) mais nous avons tendance à trop nous focaliser sur les
responsabilités individuelles, en oubliant qu’en dernier ressort le
système et la logique inertielle qui le sous tend déterminent de façon
bien plus profonde la survenue des événements historiques manipulés,
même lorsque ceux-ci sont marqués par la participation de criminels
pouvant être amenés à rendre le cas échéant compte de leurs actes devant
la justice.
Pour conclure sur ces deux derniers exemples : on peut considérer que
les attentats du 11 septembre 2001 (par-delà le complot qui les a
rendus possibles), correspondent à une nécessité liée à la dynamique
hégémonique des États-Unis, laquelle s’inscrit elle-même dans une
logique inertielle vieille de quelque deux siècles. Ces événements sont
survenus à un moment où les États-Unis étaient plus puissants que
jamais, mais, menacés par un possible déclin, n’avaient justement plus
aucun prétexte valable pour poursuivre leur projet hégémonique.
De même, le mensonge de la fondation de l’Union européenne correspond
à une nécessité géopolitique pour les Etats-Unis de s’assurer le
contrôle des États situés à l’ouest du futur rideau de fer, de
développer et de maintenir l’influence culturelle et politique
états-unienne dans ces États, au besoin par l’action violente des
services de renseignement (pensons aux Années de plomb en Italie) et la
manipulation des élections, et d’ouvrir un marché immense à la
pénétration des transnationales états-uniennes. On peut juger ces deux
manipulations scandaleuses et souhaiter à juste titre que leurs
responsables soient exemplairement punis par une justice qui pour
l’instant n’existe pas. Mais, dans le même temps, il ne faut pas oublier
qu’in fine c’est le système en soi, plus encore qu’une poignée
d’individus, qui les a rendus possibles et qu’en dehors de la logique
systémique (avec ses trois «
roues » principales), ces événements n’avaient absolument aucune chance de se produire.
On est moins obsédé par la recherche de boucs émissaires quand on
prend conscience du facteur d’inertie systémique, un concept
particulièrement fécond et novateur en matière d’analyse géopolitique.
Le système appelle les hommes qui lui sont nécessaires plus que ces
derniers créent le système à la pérennité duquel ils viennent
participer. C’est d’autant plus vrai quand l’inertie du système suit sa
trajectoire depuis des générations pour des États mus par une dynamique
impériale, avec un mode de vie essentiellement fondé sur les énergies
fossiles (et les investissements colossaux qui leur sont associés) ainsi
que la progression du pouvoir des acteurs privés du marché sur celui
des États-nations.
copryright François Belliot et réseau voltaire.